RER, Réseau Express Romantique

Paru le 2 octobre 2022

Auteur / autrice Olivier Collet

EAN 9782490580149

Pages 172

Olivier Collet signe un 1er roman très actuel, où il dévoile sa grande sensibilité. Une femme et un homme jeunes se croisent dans un RER et ne peuvent s’oublier. Il rêve de tout partager avec celle qui lisait un livre et transportait une grosse valise. Elle s’invente une vraie relation avec lui, qu’elle raconte à une amie. Beaucoup de situations cocasses et tellement authentiques, où les transports en commun exaltent les transports amoureux.

€ prix public

Commander par mail à : contact@editionslechantdesvoyelles.com 
-30% pour les libraires

Qui est Olivier Collet ?

Né en 1989, Olivier Collet a passé les vingt premières années de sa vie en région parisienne. Journaliste radio (tôt le matin), il a vécu en Bourgogne puis rejoint la Touraine où il a cofondé un site web d’info locale. Passionné par la gastronomie, l’univers des transports et l’art de la formule, il publie ici son premier roman.

Extrait

On aurait pu ne jamais se croiser. Il aurait suffi que je grimpe dans le wagon d’à côté, ou que le train précédent ne démarre pas sous mes yeux impuissants.

En descendant de l’avion, pas de pression: sac sur l’épaule, je parcours tranquillement les quelques centaines de mètres entre le terminal 3 de l’aéroport Charles de Gaulle et sa gare RER. Je fredonne au rythme de mes pas. Un tube de Queen. J’ai profité du vol pour regarder le biopic sur son chanteur dont tout le monde me parle depuis des mois. Le film étant plus long que le trajet Madrid-Paris j’ai volontairement éclipsé certaines scènes pour atteindre son épilogue avant l’atterrissage. Ce n’est pas bien, mais – jusqu’à preuve du contraire – personne n’a encore fait de la prison pour ça. Je marche trop vite pour un provincial, et pas assez pour un Parisien. La luminosité commence à baisser et je n’ai pas encore remarqué mon dos bardé de rouge, douloureux souvenir d’un début d’après-midi passé à lézarder au bord d’une piscine espagnole. Pourtant j’ai mis de la crème ! Mais pas assez. En tout cas pas partout.

Il me faut un billet pour rejoindre Paris. Pas question de le prendre à la machine : je ressens un besoin de contact humain. Impossible à deviner, mais si ce monsieur au jean jaune avait mis un peu moins de temps à fouiller dans son portefeuille j’aurais pu attraper le RER direct jusqu’à Gare du Nord, sauter illico dans un métro et enfin grimper dans une correspondance TER efficace vers mon lit. Ça ne s’est pas passé comme ça.

J’ai fait la queue plusieurs minutes dans un semi- brouhaha. Rien d’interminable mais assez pour trouver le temps long. On s’impatiente vite dans les transports en commun et leurs environnements inhospitaliers. Un jour il faudra demander à des scientifiques de faire une étude sur le sujet afin d’expliquer les causes qui conduisent l’être humain à l’empressement dans ce type de lieu ; ces mêmes spécialistes qui se demandent pendant des mois si les chats reconnaissent vraiment leur prénom puis qui s’inquiètent sérieusement de l’influence des plantes vertes sur notre moral après le passage à l’heure d’hiver.

Une fois ma carte bancaire rangée, je pars valider mon titre de transport (dans la vraie vie, qui prononce réellement une telle phrase ?). La lumière verte s’allume, les portes transparentes libèrent le passage vers le quai. Me voici de l’autre côté. Je descends sur l’escalator… et je rate le train. Il s’en va, accélère progressivement, s’enfuit dans le tunnel. Fichtre. Diantre.

Le RER suivant ne met que quelques minutes à arriver. Sur le quai, je me place de façon à avoir un maximum de chances de monter dans une rame rénovée. Je m’explique : à l’heure où j’écris ces mots, la ligne B de la région Île-de-France voit encore circuler de vieux engins aux parois jaunes et aux sièges bleu-triste. Pas du tout envie de m’imposer ça en rentrant de vacances ! Voici l’astuce du monomaniaque : les trains sont divisés en deux convois de quatre voitures. Parfois, il y en a un vieux à l’avant et un tout bien peinturluré à l’arrière (ou l’inverse). En cas de besoin, se placer au milieu permet de choisir. Ça ne change rien à la face du monde, mais ça peut donner un petit sentiment de victoire pas désagréable face aux vicissitudes du quotidien. Le même qui m’anime quand l’écran de la machine à cartes affiche « CODE BON » puis « PAIEMENT ACCEPTÉ ».

Ce train est omnibus mais je voyagerai les fesses posées sur un siège vert fluo au design récent: l’honneur est sauf. Installation dans le sens inverse de la marche. Cela donne la nausée à ma mère mais moi je suis immunisé. Je m’assois et elle pousse sa valise en s’excusant doucement. Quelque chose comme « Pardon monsieur » précédé d’une petite onomatopée. Seul moment où j’entendrai le son de sa voix: plutôt douce, je crois. Je dois bredouiller un « merci » alors qu’en vrai elle ne me gêne pas du tout, cette valise. J’ai des petites jambes (ça fait partie de mes complexes). Le train s’en va, accélère progressivement, s’enfuit dans le tunnel. Je la regarde.

Elle est assise côté fenêtre, j’ai pris place côté couloir. On doit avoir à peu près le même âge. Elle porte un short taille haute en jean clair accompagné d’une chemise blanche à larges carreaux et aux manches retroussées. Les femmes qui portent des chemises: une passion parmi d’autres (les débardeurs jaune vif, les robes bleues, les lasagnes, les dessous de plat composés de vieilles capsules de sodas…). Elle est blonde ou châtain clair, ça doit dépendre des saisons et du daltonisme de la personne à qui on pose la question. Je glisse un regard vers ses cheveux mi-longs avant de remarquer les bracelets en perles de son bras gauche et le bijou fin qui entoure son bras droit. C’est élégant.

Vu le nombre d’heures passées dans les transports depuis que j’ai l’âge de m’acheter mes propres montres, j’en ai croisé des femmes dont j’aurais aimé faire la connaissance. Mais celle-ci a marqué durablement mon esprit m’apparaissant comme l’incarnation même du mystère à éclaircir.

Sans doute qu’elle revient aussi de vacances. Valise plus grosse que mon sac : soit elle est partie longtemps, soit elle avait plein de choses à emmener. Ou alors… peut-être qu’elle aime voyager avec des bagages imposants mais quasi vides. C’est ok. N’empêche, son attitude m’intrigue. En fait, elle semble habitée d’une certaine nostalgie ce qui correspond bien au sentiment que l’on peut éprouver au retour d’un séjour lointain. Entre ses doigts, un ouvrage de Jacques Lusseyran, résistant français aveugle depuis l’âge de huit ans dont j’ignorais l’existence avant d’apercevoir son nom sur cette couverture et de faire quelques recherches. Lorsque nous avons atteint la gare de Drancy j’ai évidemment fait le rapprochement entre son bouquin et le passé funeste de cette ville durant la Seconde guerre mondiale.

Ma voisine de RER avait environ avalé le tiers des pages de l’ouvrage. À la sortie du tunnel, elle a levé les yeux du papier, tourné la tête vers l’extérieur, posé son coude droit sur le bord de la vitre et la main sur sa bouche. Elle paraissait absorbée et songeuse à mesure que le train traversait les paysages mornes du nord de la région parisienne, enchaînement de hangars, de murs remplis de graffitis, d’échangeurs autoroutiers et de pavillons standardisés. À quoi pensait-elle? Ses vacances? Sa liste de courses? Ce magnet Made in China qu’elle n’aurait jamais dû acheter? Peut-on réaliser un plat gastronomique avec des salsifis et du fromage de chèvre? (Sachez qu’il existe des recettes combinant les deux ingrédients, et que si vous souhaitez réaliser des petits flans pour quatre personnes la proportion conseillée est 250 g de salsifis pour 300 g de fromage de chèvre frais, pour le reste, débrouillez-vous).

Quoi qu’il se passe dans sa tête, vu de l’extérieur, elle ne semble pas complètement apaisée. L’esprit ailleurs, le regard un peu absent. Pas la gueule enfarinée de la plupart des gens que vous croisez à l’heure de pointe et qui semblent porter sur elles et sur eux toute la colère du monde. Non. Plutôt le visage perturbé d’une jeune femme mal à l’aise dans le moment présent.

 On replonge dans le tunnel, elle reprend sa lecture. Jusqu’où va-t-elle? Peut-être que l’on descend à la même station. Je lui jette des coups d’œil intermittents. Son regard me transporte.

Le RER s’est bien rempli depuis l’aéroport et nous ne sommes plus seuls dans notre carré. Intimité brisée. Quand je descends à Denfert-Rochereau elle reste assise. Je m’arrête un instant sur le quai, tourne le visage vers la vitre avec un maigre espoir : qu’elle lève une dernière fois la tête, que nos yeux se croisent. Son regard, énigmatique ; le mien, empli de curiosité. Il ne s’est rien passé, elle a préféré Jacques Lusseyran. Le train a démarré. Il a accéléré progressivement pour s’enfuir vers le sud. Inutile de rester plus longtemps, en plus ça sent mauvais par ici. J’ai poursuivi mon trajet. Le métro, le train, la banlieue. Autour de moi désormais, la nuit noire. Je me surprends à tourner les yeux vers la vitre avec un air nostalgique. Une pensée: elle est forcément descendue quelque part.

Retour en haut